samedi 25 janvier 2020

Retraites : le Conseil d'Etat a mis en garde le gouvernement contre sa réforme

L'arrogant Macron rejette les conseils du Conseil d'Etat 

Manque de "précision", projections économiques "lacunaires"...

De surcroît,
la plus haute juridiction administrative déplore ne pas avoir eu "les délais de réflexion nécessaires pour garantir au mieux la sécurité juridique".





A peine a-t-il fait adopter ses deux projets de loi destinés à créer un régime universel de retraite par pointsen Conseil des ministres et  à la hâte ce vendredi, que, dans son avis rendu public ce même jour, le Conseil d’Etat, dézingue la manière dont l’exécutif a bouclé ces deux textes qui doivent être examinés à partir du 3 février à l’Assemblée nationale. 

L'exécutif comptait s’appuyer dans les prochains jours sur l’imposante étude d’impact effectuée par les magistrats (plus de 1.000 pages) pour enfin apporter des chiffres et convaincre du caractère "massivement redistributif" de cette réforme, il va devoir répondre aux mises en garde de la plus haute instance administrative française, pourtant peu connue pour son esprit rebelle…

Cette fameuse "étude d’impact" manquait aussi cruellement au projet

A défaut d'étude d'impact, la bande à Macron n'avait pas pu envisager le financement de son projet : après deux années de réflexion et de discussions, les bras cassés de la macronie n'avait guère bossé !

Cette étude est maintenant jugée "insuffisante" pour "certaines dispositions", ne répondant pas "aux exigences générales d’objectivité et de sincérité" et manquant de "précision", pour notamment – et ce n’est pas rien – "vérifier que cette réforme est financièrement... soutenable". "Le Conseil d’Etat constate que les projections financières ainsi transmises restent lacunaires et que, dans certains cas, cette étude reste en deçà de ce qu’elle devrait être", peut-on lire dès les premières pages de l’avis. Autrement dit, le Conseil d'Etat dénonce un travail bâclé...

Et les conseillers mettent le pouvoir en demeure.
"Il incombe au gouvernement de l’améliorer encore avant le dépôt du projet de loi au Parlement, poursuivent les magistrats, en particulier sur les différences qu’entraînent les changements législatifs sur la situation individuelle des assurés et des employeurs, l’impact de l’âge moyen plus avancé de départ à la retraite […] sur le taux d’emploi des seniors, les dépenses d’assurance-chômage et celles liées aux minima sociaux". Rien que ça.

Une soufflante, donc, du Conseil d'Etat au prétentieux de l'Elysée

Par ailleurs, si ces juristes se félicitent des longues "concertations" menées depuis le printemps 2018, ils regrettent l’"urgence" des avis demandés aux différents organismes compétents en la matière et se couvrent en cas d’inconstitutionnalité du texte. 

Selon eux, l’empressement du gouvernement à vouloir leur avis en trois semaines pour présenter ces projets de loi en Conseil des ministres cette semaine, ainsi que les nombreux ajouts en cours de route et en catastrophe n’ont "pas mis à même (le Conseil d’Etat) de mener sa mission avec la sérénité et les délais de réflexion nécessaires pour garantir au mieux la sécurité juridique de l’examen auquel il a procédé". 
"Cette situation est d’autant plus regrettable, poursuivent-ils, que les projets de loi procèdent à une réforme du système de retraite inédite depuis 1945 et destinée à transformer pour les décennies à venir un système social qui constitue l’une des composantes majeures du contrat social". En langage juridique, c’est bel et bien une soufflante.

Le Conseil d’Etat torpille au passage le slogan présidentiel ("chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous") : cet "objectif […] reflète imparfaitement la complexité et la diversité des règles de cotisation ou d’ouverture de droits définies par le projet de loi". 

Il doute également de la "lisibilité" revendiquée par le gouvernement puisque "le choix d’une détermination annuelle de chacun des paramètres du système […] aura pour conséquence de limiter la visibilité des assurés proches de la retraite sur les règles qui leur seront applicables». 

Enfin, il biffe carrément l’engagement que comptait prendre le gouvernement dans ce texte d’une promesse de revalorisations des enseignants et des chercheurs pour qu’ils ne figurent pas dans le camp des perdants de cette réforme. "Sauf à être regardées, par leur imprécision, comme dépourvues de toute valeur normative, ces dispositions (sont) contraires à la Constitution". Au revoir…

"Le projet de loi ne crée pas un régime universel"

Les membres du gouvernement et les élus du parti majoritaire noUs ont bernés.

Autre risque constitutionnel : le trop-plein d’ordonnances (29 en tout). "S’en remettre" à un tel instrument pour définir des "éléments structurants du nouveau système de retraite fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la réforme", affirment les juges. 

Plus embêtant encore pour le gouvernement, l’institution bat en brèche l’idée d’un grand soir de l’universalité : "Le projet de loi ne crée pas un "régime universel de retraite" qui serait caractérisé, comme tout régime de sécurité sociale, par un ensemble constitué d’une population éligible unique, de règles uniformes et d’une caisse unique". Aïe, aïe… 

Si il  crée bien le même système pour les salariés du public et du privé, le gouvernement maintient à l’intérieur "cinq régimes" spéciaux (salariés; fonctionnaires, magistrats et militaires; salariés agricoles; non-salariés agricoles; marins) et "à l’intérieur de chacun de ces régimes créés ou maintenus", il met en place des "règles dérogatoires à celles du système universel".

Macron va donc devoir bien mieux "justifier" pourquoi il garde ces "différences de traitement […] entre assurés relevant du système universel de retraite et rattachés, le cas échéant, à des régimes distincts". En tout cas, les navigants aériens sont laissés pour compte : ils pensaient avoir sauvé leur caisse complémentaire pour financer des départs anticipés, mais ils sont rattrapés par le principe d’égalité : elle "serait ainsi la seule à bénéficier d’une compensation apportée par les ressources du système universel afin de financer à l’avenir des avantages de retraites propres», fait remarquer le Conseil pour qui «aucune différence de situation ni aucun motif d’intérêt général ne justifi(e) une telle différence de traitement". Conclusion : "Elle ne peut être maintenue dans le projet de loi."

Le gouvernement pourra toutefois raconter que le nouvel "âge d’équilibre" qu’il compte instituer, le fonctionnement "en points" proposé, les durées de transitions définies, la fin des régimes spéciaux, les droits familiaux, les mécanismes de réversion ou encore les compétences offertes à la future "gouvernance" dirigée par les partenaires sociaux devraient – sauf surprises – passer sans problème le cut du Conseil constitutionnel. 
A condition de résister aux oppositions parlementaires qui, elles, vont se nourrir des arguments du Conseil d’Etat pour réclamer un report ou l’abandon de cette réforme.
Et les grévistes sont renforcés dans leur lutte contre ce projet mal fagoté.

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