Ernotte face à la colère des journalistes de 'Complément d’enquête' et d''Envoyé Spécial'
France Télévisions envisage de supprimer les magazines d'information le jeudi soir en deuxième partie de soirée.
Le projet de Delphine Ernotte de fondre les deux magazines d’information de la chaîne, 'Complément d’enquête' et 'Envoyé Spécial', en un seul numéro, 'Complément d’enquête', en prime-time dès la rentrée de janvier 2018, suscite une levée de boucliers dans les équipes des deux émissions d'investigation de la chaîne publique, dont les têtes de gondole sont la hargneuse Elise Lucet pour 'Envoyé Spécial', et l'aimable Thomas Sotto, depuis septembre 2017, pour 'Complément d'enquête'.
Cette décision actuellement dans les tuyaux viserait à réduire le nombre d'éditions des deux équipes et, avant qu'elle soit prise, son annonce a d’ores et déjà provoqué la fronde des journalistes de France 2.
Cette décision supprimerait 33 CDD de reporters des magazines. "Nous venons d’apprendre par accident que notre propre direction vous propose de supprimer jusqu’à 30 ETP (Equivalent Temps Plein) dans les magazines – dont les effectifs s’élèvent à moins de 100 personnes, hiérarchie et production comprises", expliquent les reporters des 2 émissions dans un courrier adressé à Delphine Ernotte. D'après cette lettre, la trentaine d'ETP concernée représente la "quasi-totalité des postes de fabricants" d'Envoyé spécial et de Complément d'enquête. "Autant le dire franchement, cela reviendrait à faire disparaître ces émissions", en concluent les reporters.
Crise à France 2 : la lettre des reporters de @Cdenquete et de @EnvoyeSpecial à @DelphineErnotte On en parle ce soir dans @Qofficiel pic.twitter.com/SnOztKwmk8— Julien Bellver (@julienbellver) 22 novembre 2017
"Concrètement, sans CDD, sachez qu’il ne restera plus que deux reporters à ‘Complément d’enquête’, et cinq à ‘Envoyé Spécial’."
"Envoyé spécial" et "Complément d'enquête" prennent de plein fouet les baisses de crédit imposées par l'Etat
Cette décision relève d'une forme de "censure en amont" exercée par le gouvernement, qui préférerait couper les vivres à l'investigation plutôt que de l'interdire frontalement, estime le député d'extrême gauche, François Ruffin (La France Insoumise), un journaliste.
Il est toutefois révélateur que ce soit François Ruffin qui se soit insurgé contre ces projets, d'une part dans une intervention à l'Assemblée nationale, le 16 novembre, et d'autre part, dans son bulletin vidéo, ce vendredi 24 novembre. L'élu de l'extrême gauche perd de vue que France Télévisions est au service de la population et que ses journalistes doivent des comptes au redevable de la taxe audiovisuelle.
Or, ses journalistes militants sont à l'origine d'une série de polémiques.
En janvier 2014, lorsque Envoyé spécial était présenté par Françoise Joly et Guilaine Chenu, l'émission de France 2 avait subi un rappel à l'ordre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) pour manquements déontologiques, pour un reportage diffusé en 2013 et intitulé "Villeneuve : le rêve brisé", portant sur ce quartier populaire de Grenoble. Le CSA insistait sur la nécessité d’assurer la diversité des points de vue sur un sujet prêtant à controverse.
Présenté depuis 2016 par Elise Lucet, l'ex-compagne de Jean-Marie Cavada, l'émission continue de se distinguer par ses partis-pris et ses méthodes intrusives, voire agressives. Cumularde de plusieurs émissions de télévision ('Cash Investigation' sur France 2 depuis avril 2012 et de 'Pièces à Conviction', émission similaire sur France 3) toujours sur le service public, en plus de 'Envoyé spécial'), Cash Investigation" du mardi 26 septembre a pris le parti de se concentrer sur deux entreprises emblématiques, Lidl France et Free, ironisant sur le "monde merveilleux du travail" et révélant l'envers du décor, la souffrance au travail et les licenciements avec des séquences parfois provocantes, selon de nombreux téléspectateurs. Une charge militante que ne renie pas le syndicat d'extrême gauche, SNJ-CGT.
Dans TPMP (Touche pas à mon poste), Pierre Ménès dira avoir "honte de faire le même métier qu’Elise Lucet". "Je la trouve d’une agressivité incroyable. J’ai déjà eu l’occasion de le dire ici : son Cash Investigation sur le foot était lamentable. La manière qu’elle a eue d’invectiver le Pape, j’ai trouvé ça très choquant. Le pipeau, c’est minable".
Mais le néo-député Ruffin va plus loin. Selon lui, les restrictions économiques sont une stratégie directement inspirée du gouvernement. "On voit comment la contrainte budgétaire se conjugue avec la censure politique", commente le député de la Somme. Il estime que les pouvoirs économiques et politiques "peuvent être gênés" par des émissions telles que Envoyé spécial et Complément d'enquête, car "ce sont ces magazines qui ont sorti Bygmalion, qui ont envoyé une équipe en Erythrée, qui ont sorti des trucs sur Penelope Fillon, la com' d'Emmanuel Macron..." Des émissions politiques partisanes déguisées.
Ruffin omet juste de signaler que l'équipe à la manoeuvre derrière Elise Lucet a participé au scandale des 'Paradise papers' qui a monté une opération de déballage des procédés de plusieurs entreprises et personnalités en matière d'optimisation fiscale à travers le monde, bien qu'elles n'aient rien d'illégal. Ainsi, le groupe Louis-Dreyfus, géant mondial des matières premières et ancien propriétaire de l'OM, à travers un holding, est lui aussi pointé du doigt par les équipes anti-libérales de France Télévisions.
Les journalistes disent devoir participer aux efforts financiers.
Tout en affirmant que la direction de France Télévisions a fait le choix de viser ces émissions d'investigation, ils disent aussi dans leur lettre que "la rédaction et les magazines doivent participer aux efforts d’économie. Nous avons beaucoup d’idées allant dans ce sens. Avant de faire votre choix, gardez à l’esprit que derrière cette décision comptable, c’est la survie des derniers magazines produits par le service public qui est en jeu", prétendent en conclusion les journalistes attachés à la co-gestion du service public par la gauche radicale.
Ernotte assure vouloir préserver les deux marques "Envoyé Spécial" et "Complément d’Enquête"
Contactée par le Figaro, la direction de France Télévisions confirme ce projet mais se veut rassurante sur la baisse des effectifs de la rédaction, évoquée par ailleurs: “Il y a une volonté de notre part de préserver les deux marques “Envoyé Spécial” et “Complément d’Enquête” et de conserver la place de l’investigation sur nos antennes. Effectivement, dans le cadre du plan d’économies qui est demandé à France Télévisions, de 50 millions d’euros, l’évolution de la programmation des deux magazines est l’une des pistes étudiées, mais rien n’est arbitré".
150 à 200 journalistes de France Télévisions ont voté le principe d'une motion de défiance à l'encontre de la présidente du groupe, Delphine Ernotte, lors d'une assemblée générale, le jeudi 23 novembre.
En cause, les conséquences du plan d'économies de 50 millions d'euros demandées par l'Etat à l'audiovisuel public en 2018. Le budget de l'émission Envoyé spécial s'élève à 150.000 € pour 1 h 30 de programme. Depuis 2001, quand le temps de l'émission est passé à 2 h, aucune donnée financière n’est plus disponible actuellement.
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