mercredi 1 avril 2015

Lienemann reproche à Hollande son obstination

"Hollande doit comprendre la différence entre ténacité et obstination," estime M.-N. Lienemann 

Au lendemain de la défaite du PS aux départementales, malgré l'investissement personnel, toute affaire d'Etat pendante, du sourcilleux petit premier ministre irascible, la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, opposante capée de l’aile gauche du PS, tire le bilan de cette "défaite pourtant annoncée".
Une claque qui, selon elle, devrait pousser le chef de l'Etat à prendre conscience de la nécessité de changer de politique. Et elle prévient : il sera bientôt trop tard pour agir...

Marianne 
:
 Au lendemain du deuxième tour des départementales, avec des résultats mauvais pour le Parti socialiste et les partis de gauche dans leur globalité,
quelles leçons tirez-vous ?
Marie-Nöelle Lienemann : Que la défaite pourtant annoncée s’est hélas concrétisée. Qu’il n’y a pas eu de grande efficacité dans la méthode [Valls], même en essayant de mobiliser contre le Front national. Ce qui n’est pas illégitime, mais qui ne règle pas les problèmes politiques de fond.
Depuis le début du quinquennat, à aucun moment François Hollande n’a donné de signes et n’a essayé de construire d’accords avec les forces politiques qui ont permis son élection. Et, plus le temps a passé et plus il y a eu des fractures créées par la politique menée par les différents gouvernements et le président de la République. Une politique éloignée des engagements que nous avions pris devant les Français et qui, par ailleurs, donne du crédit aux thèses de nos adversaires libéraux.
Ces élections ont démontré qu’il y a un véritable décrochage des couches populaires : ouvriers, employés ou salariés que ce soit dans les banlieues ou dans les zones péri-urbaines. Toute une série de gens qui n’ont pas vu le début d’une once d’amélioration de leur situation depuis que François Hollande est président. Ils ont même plutôt assisté à une dégradation… Donc on observe un décrochage sociologique de toute une partie de la population sans laquelle la gauche ne gagne jamais.
Il est urgentissime de renouer avec une politique qui instaure pour ces catégories de la population qui vivent mal, qui ne voient pas d’avenir pour leurs enfants, non pas comme dit François Hollande des "marqueurs de gauche", mais des actes qui relancent leur pouvoir d’achat et améliorent leurs conditions de vie. On le voit bien, la politique de l’offre est inefficace avec une croissance économique très faible. Et quand le gouvernement dit que tous les indicateurs économiques sont au vert, c’est à se demander s’ils ne sont pas daltoniens ! Et ce n’est sûrement pas la loi Macron qui va améliorer la situation. C’est même l’inverse qui va se passer.
Vous parlez de la nécessité du rassemblement à gauche. Mais finalement, le rejet par "le peuple de gauche" de cette politique menée depuis le début du quinquennat n’est-il pas devenu si grand que même rassemblée, la gauche ne peut plus convaincre ? En Essonne, malgré un rassemblement des partis de gauche, une situation exceptionnelle par rapport aux autres départements, la droite a quand même remporté l’élection…

Bien sûr. Le rassemblement des appareils, s’il ne se fait pas en symbiose avec le sentiment de l’ensemble de la base des partis de gauche et écologistes et s'il n’y a pas une dynamique, n’est pas possible. Quand Martine Aubry dit : "Il ne peut pas avoir d’unité sans contenu", c’est aussi ça qu’elle constate. Quand on plaide pour l’unité des forces de gauche, ce n’est pas simplement des coups tactiques. Hollande pense la gauche du seul point de vue de la tactique. Il croit, in fine, que pour avoir des postes de conseillers généraux, les appareils politiques accepteraient de faire des accords. Mais d’une part, les accords sont de plus en plus difficiles à faire lorsque vous avez une politique qui fracture la majorité et ensuite, les électeurs de chacune de ces forces ne sont pas des automates. Ils ont besoin d’être convaincus que leurs revendications sont prises en compte et que les perspectives sont bonnes.

Pour vous,
qui sont les responsables de cette déroute du parti socialiste : Hollande, Valls, Cambadélis ?

Le responsable politique des orientations qui ont été prises, c’est le président de la République.
Premièrement, il n’a pas fait le rassemblement. Ensuite, il a signé le traité "Merkozy". Enfin, il a fait venir Valls après une première alerte majeure, celle des élections municipales. C’est aussi lui qui a parlé de la politique de l’offre. Sauf que, maintenant, Hollande doit comprendre que l’obstination, ce n’est ni de la cohérence, ni de la lucidité. Entre la ténacité et l’obstination, il y a une différence. La ténacité, c’est lorsque l’on voit réellement les choses progresser sur le terrain politique et sur le terrain économique et social. L’obstination, c’est lorsque l’on voit que rien ne marche, que l’on se plante et que l’on dit : "Ce n’est pas grave, un miracle arrivera".

Valls semble être tout de même un sacré repoussoir pour les autres forces de gauche…
Ça ne sert à rien les oukases mettant en cause les gens. Personnellement, je pense que Valls incarne cette tournure néo-libérale. Mais c’est trop facile de se focaliser seulement sur lui puisque, si vous changez le casting sans changer de ligne, la question sera exactement la même. Ce qu’il faut se demander c’est : quel contenu politique le président de la République est prêt à mettre en œuvre ? Est-il prêt à repartir sur des choses centrales comme le pouvoir d’achat des Français modestes, la réforme fiscale avec une CSG progressive, la refonte du pacte de responsabilité en rééquilibrant massivement les aides en faveur des ménages ? Nous avions publié avec Emmanuelle Cosse et Pierre Laurent, pendant l’été, un manifeste pour une nouvelle plate-forme commune. Un document très précis qui reprenait des points de la période du Bourget. Et cela, dès le mois de juillet. Donc, il y avait des éléments. Mais au lieu de ça, il a préféré conforter Manuel Valls dans son tournant néo-libéral.

Pensez-vous vraiment que le Parti socialiste peut encore être un moteur de ce rassemblement ?

A gauche, quand ça va mal pour l’un, ça va mal pour l’autre. En cela, pour tous ceux qui font le pari d’être une alternative, ça ne marche pas. On voit bien qu’en France, la gauche ne fonctionne que lorsqu’elle est rassemblée. Donc, lorsque vous parlez d’alternative, les gens ont compris que vous allez dans le mur. Ça ne mobilise pas, parce que ce n’est pas crédible. La question est comment permettre ce rassemblement ? Et le congrès du Parti socialiste va devoir jouer ce rôle. Est-ce que le PS va peser pour qu’une certaine orientation et une stratégie unitaire prime. C’est le grand débat ça !

Et si le congrès qui se tiendra en juin ne donne rien ?


Il est certain que si l’on continue comme avant et que l’on parie sur le " sauve qui peut voilà le Front national", je ne pense pas que ça suffira pour permettre le sursaut indispensable à gauche. Depuis le début, François Hollande semble pourtant compter sur la division du camp adverse pour se retrouver face à Marine Le Pen. Une stratégie qui comporte un double danger. D’abord, on joue la carte Marine Le Pen pour qu’elle soit au deuxième [second] tour, ce qui est dangereux pour le pays. Ensuite, penser que les divisions à droite seront supérieures aux divisions à gauche est une grave erreur. Car si la droite se divise beaucoup quand elle n’a pas de chef, une fois qu’elle l’a trouvé, la tendance bonapartiste de ses membres fait qu’ils se rassemblent autour du chef. Dans l’état dans lequel est le pays et l’état de la gauche, chacun devrait relativiser ses plans de carrière pour se concentrer sur des choses plus importantes.

Croyez-vous que le rebond que vous appelez de vos vœux soit encore possible d’ici 2017 ?

En politique, tout est possible à partir du moment où vous avez un cap, une stratégie et que cette stratégie permet un sursaut. Mais là, la lente descente aux enfers en espérant le miracle, ça ne peut pas marcher ! Nous sommes à deux ans de la fin du quinquennat, c’est le moment de changer ! Les gens sont au pied du mur. Si par malheur rien ne bouge et que ça continue aux régionales, ce n’est pas à un an de la présidentielle que l'on pourra engager un rebond. Je sais bien que la grande mode des communicants est de dire que les gens votent au dernier moment. Sauf que vous avez une espèce de nappe phréatique qui s’est construite. Si les gens sont dans une colère, une rogne contre vous, voire une haine, ce n’est pas au dernier moment qu’ils auront envie de changer d’idée.

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