mardi 3 juin 2014

Tribune: La droite et la défense de l'ordre naturel

De l'ordre naturel en économie, social et politique

L'éternelle querelle des Anciens et des Modernes

Il y a une autre façon d'être conservateur, plus subtile et plus féconde, que de défendre une marche du monde prétendument sacré et immuable.

Le débat sur le mariage homosexuel (sur lequel je me suis déjà exprimé) conduit à exacerber le clivage entre la droite et la gauche quant à leurs visions respectives de la société [un stratagème de la majorité présidentielle qu'on avait-dit productif en termes de fracture, jusqu'aux municipales et aux européennes qui ont sévèrement sanctionné les gauches].

En première approximation, c'est une opposition entre une approche conservatrice, qui passe par la défense d'un ordre naturel, et une approche progressiste, selon laquelle la société doit au contraire s'émanciper de ce déterminisme naturel. Elle dépasse largement les seules questions de société comme le mariage pour tous ou l'euthanasie et concerne les différents débats économiques, sociaux et politiques. C'est ce qui rend son analyse particulièrement intéressante.

Le paysage médiatique et le politiquement correct sont à ce point imprégnés par le progressisme que ce débat est censé ne pas faire débat, pour reprendre la formule du regretté Philippe Muray. En effet, il y aurait un sens de l'Histoire, une émancipation progressive de l'Humanité qui quitterait progressivement sa condition naturelle pour s'élever vers le progrès humain, fruit de son génie propre. Le passage de l'ombre à la lumière en quelque sorte. Selon cette vision, les conservateurs sont identifiés aux réactionnaires comme des empêcheurs de réaliser la destinée humaine.

Il s'agit là d'une caricature du conservatisme qu'il convient de dénoncer avec force. Contrairement au réactionnaire, le conservateur ne refuse pas l'idée de progrès humain, mais il croit que ce progrès ne va pas de soi, qu'il n'est pas écrit à l'avance et il est donc enclin à considérer le passé avec humilité et intérêt.

Ce n'est pas un culte du bon vieux temps

Non pas que le passé serait, par essence, meilleur que le présent, mais parce que ce qui nous parvient du passé aujourd'hui [en résistant au temps] a été sélectionné: les grands auteurs, les grands enseignements historiques, les grandes lois de la science, les grands principes d'organisation sociale. C'est ce passé "sélectionné" [plus fort que le temps] qui est digne d'intérêt, qui nous oblige et qui doit nous aider à déceler, au sein de la modernité, ce qui a de la valeur et ce qui n'en a pas.

Incontestablement, il y a donc à droite la défense d'un ordre hérité du passé qui, s'il n'est pas figé, ne peut évoluer que lentement et avec discernement. Le caractère "révolutionnaire" du libéralisme qui s'est imposé à droite depuis les années 1980 est en ce sens un choc trop souvent sous-estimé et qui pourrait à terme constituer un péril.

Reste à savoir si cet ordre que la droite cherche à défendre est issu, ou pas, d'un ordre naturel.

Il y a, c'est incontestable, une partie de la droite pour qui l'ordre social découle de l'ordre naturel qui découle lui-même de l'ordre divin. Cette vision de la société, qui est assez indissociable de la prédominance de la religion catholique en France au cours des décennies et siècles passés, est en déclin progressif, malgré certains regains de vigueur [sous-estimé par les gauches] comme aujourd'hui avec la mobilisation contre le mariage et l'adoption homosexuels.

La progression des idées du protestantisme

En effet, la société continue à se laïciser et le catholicisme lui-même ne cesse d'être gagné par les idées du protestantisme: l'individualisme libéral, hérité des révolutions cartésienne et luthérienne, gagne peu à peu les consciences et exerce son esprit critique chaque jour plus aiguisé contre un ordre du monde prétendument sacré et immuable.

Si les progressistes sont si sûrs de leur fait, c'est parce qu'ils ne savent (ou ne veulent) voir que cette tendance strictement naturaliste dans la droite conservatrice. Ils se complaisent dans ce dialogue de sourds avec des catholiques réactionnaires. Mais il y a une autre façon d'être conservateur, plus subtile et plus féconde.

Il faut pour cela partir du fait que la société est un système complexe, comme peuvent l'être les systèmes naturels étudiés par la thermodynamique, la chimie, la biologie ou encore l'écologie. Par système complexe il faut comprendre système composé de multiples entités imbriquées avec des interactions et des rétroactions permanentes entre les différentes échelles.

On peut se référer à l'ordre naturel sans être réactionnaire

Ces systèmes échappent assez largement à l'analyse réductionniste cartésienne qui nous permet de comprendre les systèmes simples: impossible de décomposer un problème compliqué en plusieurs problèmes simples ou d'aboutir à une interprétation causale univoque. Ces systèmes partagent entre eux des caractéristiques communes comme une capacité spontanée d'évolution dans le temps, une lutte permanente contre l'entropie ou encore l'émergence de propriétés au niveau macroscopique qui ne sont pas "souhaitées" au niveau microscopique.

Dès lors que la société partage ces caractéristiques avec des systèmes naturels complexes, il est légitime que des modes d'analyse communs soient utilisés. La droite est donc parfaitement fondée à se référer à l'ordre naturel et à mettre en exergue des analogies entre ordre social et ordre naturel, sans que cela ne la range du côté réactionnaire pour autant.

Il s'agit simplement de reconnaître que la complexité du monde appelle la politique à une bonne dose d'humilité et que l'observation de systèmes complexes, fussent-ils naturels, pour résoudre des problèmes similaires (auto-organisation, échanges avec l'extérieur, transmission de l'information...) est digne d'intérêt.

Une telle approche n'a rien à voir avec des doctrines dangereuses comme celle du darwinisme social, qui s'appuient le plus souvent sur une profonde méconnaissance de la théorie de l'évolution et réduisent l'être humain à sa composante biologique, mettant de côté les composantes culturelles et sociales.

Souvenons-nous que l'homme est doué de libre-arbitre

Car s'il y a bien une spécificité des systèmes complexes sociaux, c'est que leurs constituants de base, les individus, sont doués de libre-arbitre. On peut même penser que la liberté joue sur le plan politique le rôle que le hasard joue dans les systèmes naturels : il est cet élément perturbateur qui vient faire évoluer l'ordre existant, cette irruption créatrice du présent dans le passé.

C'est donc l'alliance de l'ordre et de la liberté, par analogie avec les systèmes complexes naturels, qui doit être à la base de la doctrine de la droite. Cette approche consiste à refuser une dichotomie de la droite en une composante conservatrice et une composante libérale qui ne mène à rien.

En effet, l'ordre sans la liberté, c'est le risque de l'autoritarisme, de la fermeture et de la stagnation, tandis que la liberté sans l'ordre c'est le risque de l'anarchie, de l'absence totale de régulation ou de l'individualisme triomphant.

Ordre et liberté forment donc un couple dialectique pour la droite, qui joue un rôle similaire au couple égalité/progrès pour la gauche. Ces deux visions de la société sont légitimes: il n'y a pas l'ombre d'un côté et la lumière de l'autre.

Vincent Le Biez, secrétaire national de l'UMP et secrétaire général du mouvement Droit au Cœur.
Tribune publiée par Slate, le le 23/01/2013

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