samedi 9 mars 2013

Taubira nie le bouleversement du Code civil par la réforme de l'adoption et de la filiation

La ministre de Hollande est-elle inconsciente ou sournoise ?

Si, Madame Taubira, vous changez la filiation. Pour tous.

Koztoujours réagit à sa mauvaise foi
"Huit mois, ou presque, que de façon quasi-systématique, j'évoque l'adoption et la filiation dans mes billets sur le projet de loi. Et soudain, cet argument captivant : rien ne change [selon elle]. L'hallucination était collective et le projet de loi ne modifie[rait] en rien la filiation. Qu'allions-nous donc nous imaginer ?
Chronologiquement, c'est d'abord mon camarade et confrère [maître] Eolas qui a attiré mon attention - "Qu’est-ce que la loi sur le mariage pour tous change à cela ? La réponse est : rigoureusement rien. Le projet de loi ne touche absolument pas à la filiation" - avant d'être, et je l'en félicite, promptement repris par LeMonde.fr. Depuis, Christiane Taubira l'a répété, dans le JDD ou sur RTL" Pour la filiation, qui ne va concerner que les couples homosexuels, rien ne bouge, pas une virgule."

[L'effrontée se contredit]
On se souvenait pourtant d'une Garde des Sceaux plus allante, plus ambitieuse, lorsqu'elle déclarait à Ouest France : "C'est une réforme de société et on peut même dire une réforme de civilisation. Nous n'avons pas l'intention de faire comme si nous ne retouchions que trois ou quatre virgules dans le Code civil."

Et quelles que soient nos divergences, reconnaissons-le à Christiane Taubira : non, ce n'est pas un projet pour rien.

My bottom on the cupboard

Ne soyons pas injuste avec Christiane Taubira qui, si elle est Garde des Sceaux, n'est pas juriste, elle : le procédé peut abuser, même les personnes les mieux intentionnées.

Formalisme pour formalisme, on relèvera toutefois préalablement qu'il est inexact de prétendre que les dispositions relatives à la filiation restent totalement inchangées : l'article 2 du projet de loi modifie les articles 311-21 et 311-23 du Code civil, qui relèvent bien du titre VII, "de la filiation".

Pour le reste, de fait, le texte du projet loi ne change rien aux articles du Code civil relatifs à la filiation. C'est la beauté du Droit, sa magie, sa sensibilité aussi. C'est la raison pour laquelle des juristes - chers à mon coeur - se font injustement brocarder lorsqu'ils portent une attention minutieuse à tous les termes d'un contrat, à l'articulation de ses articles, à son préliminaire comme à ses dispositions finales : il n'est pas nécessaire de changer tous les articles pour changer le sens d'un acte juridique. Une disposition finale ou un préliminaire différent, et c'est tout le contrat qui prend une autre voie.

[...] Prendre argument du fait que les textes eux-mêmes ne sont pas modifiés pour affirmer que rien ne change, alors qu'on les applique à une réalité différente, n'est définitivement pas recevable, et tend abusivement à prendre les citoyens pour des truffes. C'est également choisir de borner sa capacité de raisonnement à une approche purement littérale d'un texte, sans vouloir en saisir l'esprit.

C'est enfin une étrange manière de désunir la filiation. Car seules les dispositions du titre VII du Livre I du Code civil seront (presque) inchangées. Les dispositions du titre VIII, "de la filiation adoptive'" sont en revanche sérieusement remaniées.

Certes le titre VII s'intitule "de la filiation" quand le titre VIII s'intitule "de la filiation adoptive", ce qui pourrait être interprété comme une séparation nette. Cela suffit probablement à ceux qui se satisfont du littéralisme, mais même ainsi, on comprend bien que la filiation adoptive est une déclinaison de la filiation (non adoptive), qu'elle prend appui sur elle. Et si l'on s'abstrait des arguments textuels - car le Droit n'est que la transcription d'une réalité ou d'une intention qui le précède - on comprend bien que, précisément, il est de l'intérêt des parents adoptants comme des enfants adoptifs que tel soit le cas. Il y a donc évidemment une cohérence d'ensemble de la filiation en droit français.

Il est d'ailleurs évident que, dès lors que des personnes de même sexe peuvent procéder à une adoption plénière et être qualifiées de "parents", cela modifie la définition de cette notion... pour tous.

Notez d'ailleurs que cette petite controverse illustre de façon manifeste comme il est risible et artificiel de distinguer le mariage et la filiation (dont l'adoption). Elle souligne encore à quel point les sondages séparant l'un et l'autre sont spécieux : la filiation est impactée du seul fait de la modification des dispositions relatives au mariage, sans même modifier un article du Code sur la filiation. Comment mieux souligner que l'un et l'autre sont intrinsèquement liés dans une institution globale... et que l'opposition au mariage procède de l'opposition à l'adoption, et non l'inverse ?

Et, de fait, on ne peut pas prétendre que construire une filiation sur l'engendrement (à tout le moins sa possibilité, pour l'adoption) ou s'en abstraire recouvre la même réalité. Sans qu'il soit forcément nécessaire d'emprunter au lyrisme de Christiane Taubira pour y voir un changement de civilisation, la nature de la filiation change, et cette évolution n'est pas des plus heureuses.

De l'engendrement à la filiation d'intention

Comme l'explique fort bien Aude Mirkovic dans son opuscule, Mariages des personnes de même sexe - La controverse juridique (éd. Tequi), la filiation en droit français est fondée sur l'engendrement. Celui-ci est soit biologique soit symbolique (par l'adoption) mais dans un cas comme dans l'autre, il indique à l'enfant son origine.

Avec le projet de loi [Taubira], la filiation ne peut plus se rattacher à l'engendrement. Interrogée par mes soins, Aude Mirkovic souligne que si l'intention n'est pas absente de la filiation - qu'il s'agisse de l'adoption, de la reconnaissance de paternité ou de sa non-contestation - elle s'est toujours rattachée à cet engendrement, réel ou symbolique. Tel ne sera plus le cas.

Il n'est d'ailleurs pas neutre de retrouver, dans ce de débat encore, l'invocation par les partisans du projet de loi de la notion de projet parental, qui relève bien de l'intention. C'est aussi la raison qui a conduit à élaborer la notion de parentalité en lieu et place de la parenté, afin de s'abstraire de l'engendrement. Plus largement, c'est une vraie divergence de fond car faire dépendre une filiation d'un projet parental place l'enfant dans une situation instable et conduit à le concevoir comme dépendant de la volonté des parents. Certains partisans du projet ne s'en cachent pas et affirment que "ce qui fait un parent, c'est l'engagement", ce qui est à tout le moins partiel et assurément faux dans le cas de la mère.[Le projet scélérat du "mariage pour tous" invite à repenser les liens d'alliance et de parenté dans l'optique de parents homosexuels].

Bref, un enfant n'émane pas du projet de ses parents, il est [par lui-même]. D'ailleurs, comme le relève Aude Mirkovic, "si c'est le projet qui fait le parent, que devient l'enfant lorsque disparaît le projet pendant la gestation ?".

En outre, le droit français ne peut pas connaître simultanément deux définitions de la notion de parent sans tomber un jour dans l'incohérence. Sauf à créer une situation ubuesque que le goût pour l'égalité des pro-projet réprouvera, il ne sera pas possible de considérer qu'il existe une définition du parent pour les homosexuels et une définition différente pour les autres. Ceci laisse ouverte la possibilité à l'avenir pour tout père biologique de contester sa paternité en déniant son intention parentale, ou sa participation au projet. C'est là aussi, et pour tous les couples, tous les enfants, la remise en question de la présomption de paternité et de la stabilité à laquelle elle est censée contribuer.

Par ailleurs, à quoi peut bien mener cette reconnaissance d'une parenté sociale ? 
Puisque le lien à l'engendrement est écarté, il n'y a plus de raisons spécifiques de se contenter de deux parents.

Si tel est le cas dans la filiation adoptive, c'est bien par référence à la filiation biologique. Puisque le lien à l'engendrement est nécessairement rompu lorsque deux hommes ou deux femmes deviennent parents, cette référence sera considérée comme dépassée. Prenez l'exemple pas si rare d'un enfant élevé par un couple d'hommes et un couple de femmes: peut-on considérer que le compagnon ou la compagne n'est pas partie au "projet parental" ? Pourquoi alors lui dénier la possibilité d'être parent ? On sait que cela existe déjà, notamment dans un Etat dit "en avance", l'Ontario au Canada, dont la Cour d'appel n'a pas eu d'autre choix que de reconnaître l'existence de trois parents (Cour d'appel de l'Ontario, 2 janvier 2007, AA. c. BB. et CC.). A l'enfant de se repérer et de se construire dans tout cela. De façon finalement plus anecdotique et moins nouvelle, on songe aussi aux questions de droit de visite, de garde partagée (etc.), que cela pourra susciter en cas de séparation.

Ce projet de loi change donc, nécessairement, la conception française de la filiation. 
Il n'est guère honnête de se retrancher derrière une vision formaliste du Droit. Et il n'est pas responsable d'ignorer les conséquences de ce texte. Comme celle du juriste, la mission du législateur ne consiste pas à dresser les actes d'un tableau idyllique, mais à prévoir et prévenir les difficultés, telles qu'elles découleront de l'application des textes et de leur interprétation par les tribunaux. Il semble que la majorité ait fait le choix de les éluder."

Publié le 30 janvier 2013 par Koz (maître Erwan Le Morhedec, avocat)



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