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dimanche 22 mai 2016

Nuit debout: leur gourou leur fait avaler son projet

Frédéric Lordon dévoile son projet pour 'Nuit debout' 

Ils palabrent la nuit, pensant refaire le monde, sans savoir qu'ils sont encadrés et qu'une éminence grise a pris possession de leurs esprits
F. Lordon à Nuit debout, place de la République après la manif 
contre le projet de loi travail-El Khomri, le 31 Mars 2016

Contrairement à ce que ses animateurs veulent faire croire, le mouvement Nuit debout dispose d'un vrai projet politique, dévoilé la semaine passée par l'économiste souverainiste Frédéric Lordon. 
Membre des "Economistes atterrés", un collectif de chercheurs, universitaires et experts en économie de gauche, regroupés, avec d'autres citoyens non économistes, qui anime et entretient l'agitation de la réflexion collective et l'expression publique des économistes qui "ne se résignent pas à la domination de l'orthodoxie néo-libérale", Lordon est présent, mais rarement physiquement, en sous couche place de la République, à Paris. Or, chacune de ses interventions est très écoutée. Celui qui revendique le caractère "politique" de Nuit debout et fustige les media qui voudraient que le rassemblement se contente d’une " animation citoyenne" est l’auteur d'ouvrages qui s’attaquent à la finance dérégulée et mondialisée
Cet économiste manipulateur se comporte en maître-à-penser de Nuit debout, renouvelant le genre ancien du culte de la personnalité. On n’avait pas vu cela depuis les années Mao et révolution culturelle. Pour la troisième fois seulement, le guide Lordon est apparu à ses disciples à la Bourse du travail et, preuve qu’il n’est pas un Nuit debout comme les autres, il exige d'avoir droit à une chaise pour pouvoir répandre sa parole sur les fidèles assis et hostiles à toute hiérarchie.


Vite une chaire  chaise pour Lordon ! 
La règle commune applicable à la base informe est de parler debout à Nuit debout, mais l’universitaire bénéficie d'un traitement de faveur dû à son rang, privilège assumé: "Je suis le représentant du courant l’université assise". La 'Télé de gauche Paris' ne pouvait manquer l'événement et rediffuse. A Nuit debout, tous sont égaux, mais Lordon est plus égal que d'autres, dirait Coluche. Rassemblés aux pieds du guide, les disciples reconnus, manipulateurs délégués de Nuit debout, les éléments les plus actifs et militants, permanents de la place de la République assurant la continuité auprès des intermittents et des passants. 

En 11 minutes, Lordon révèle Nuit debout. 

Dans un premier temps, Lordon désigne l’ennemi, dénonçant  la secte malfaisante de la presse et des media. 

Il ne cible pas les "journalistes de terrain, jeunes et précarisés" en qui se reconnait Nuit debout, mais la "chefferie éditocratique" soumise aux actionnaires socialistes, les patrons de presse multimillionnaires qui tiennent la presse. De "Le Monde", "Ouest-France" ou Rue89, à "La Voix du Nord", en passant par Canal + ou LVMH (Le Point, Le Parisien), la quasi-totalité des media généralistes est désormais serrée dans une vingtaine de mains. La plupart appartiennent à de riches industriels qui ont fait fortune dans des domaines bien éloignés de la presse (transports, bâtiment, luxe, télécommunications…), un milieu masculin où seules deux femmes sont aujourd'hui propriétaires d'un groupe de presse, et pour ne pas nommer les faiseurs d'opinion,  le patron de Free, Xavier Niel, ou son allié, le banquier Matthieu Pigasse, le très gourmand Patrick Drahi, propriétaire à crédit d'Altice, un consortium multinational (basé au Luxembourg) d'opérateurs de télécommunications ou de câblo-opérateurs (SFR-Numéricable) et d'entreprises de media (Libération, NextRadioTV (BFMTV), Groupe l'Express (Studio Ciné Live, L'Express, L'Expansion, L'Étudiant...), Pierre Bergé (maison de haute couture Yves Saint Laurent, journal Le Monde, conjointement avec Xavier Niel et Matthieu Pigasse, également à la tête du magazine L'Obs), successeurs de Hersant, Amaury ou Dassault et nouveaux magnats d'une presse toute acquise -à des degrés divers- au pouvoir socialiste, militante aussi mal-aimée que Hollande à 14% dans les sondages, "chefferie éditocratique" qui "confisque la parole autorisée". 

Autre changement que Hollande n'a pas non plus apporté, des media comme contre-pouvoir. Il a favorisé la constitution d'empires de presse mais, comme tout ce qu'il a fait ou laissé faire, ils sont aussi fragiles que serviles.


Lordon recadre ses troupes 

La "chefferie éditocratique" veut cantonner Nuit debout au débat aseptisé dans un cadre démocratique, afin d’imposer  "le citoyennisme intransitif, qui débat pour débattre, mais ne tranche rien, ne clive rien, et est conçu pour que rien n’en sorte". Lordon tranche, il faut refuser cette démocratie "all inclusive".

Pour l’économiste atterré, l’horizontalité de Nuit debout est une illusion, car les individus rassemblés dans un groupe tendent toujours à recréer un pouvoir qui les dépasse et auquel ils sont soumis. Nuit debout serait déjà en train de "recréer des institutions", car elle organise des assemblées générales (AG) et des commissions. Le fait qu’un mouvement soit horizontal ne dit d’ailleurs rien du bien-fondé de sa cause, explique-t-il, donnant l’exemple de La Manif pour tous.
Frédéric Lordon propose de garder à l’esprit l’idéal du "communisme de la raison"
, pour permettre de travailler à des institutions plus justes.

Radicalisation de Nuit debout: on ne débat pas, on combat. 
 Pour devenir le Podemos français, le mouvement 
doit repenser sa stratégie et s'étendre à tout le pays.
Pour Lordon, le débat démocratique, c’est l’impasse qu’entendent imposer "la secte malfaisante, la secte de l’oligarchie néolibérale intégrée", celle des "media organiques de l’ordre social". 
Et Lordon tente de justifier l’intimidation physique infligée à Alain Finkielkraut, l’ennemi suprême: "Nous voilà sommés d’être inclusifs, violence du capital et violence identitaire raciste, violence dont Finkielkraut est peut-être le propagateur le plus notoire". Et de réitérer le refus de la confrontation avec l’ennemi désigné : "Ces media nous demandent d’accueillir Finkielkraut et bien non ! Pas d’animation citoyenne all inclusive comme le voudraient Laurent Joffrin et Najat Vallaud Belkacem !

Et de conclure par des propos menaçants. 
"Nous ne sommes pas ici pour être amis avec tout le monde, et nous n’apportons pas la paix; nous n’avons aucun projet d’unanimité démocratique". Lordon n'est pas transparent, il est limpide. 
Il va jusqu'à préciser ensuite comment Nuit debout doit désormais mener le combat, hors du champ démocratique. D’abord, en dépassant le cadre revendicatif traditionnel des luttes sociales, qui n’est pas révolutionnaire : "Revendiquer est une nécessité, parfois même vitale", mais de portée limitée, "ceci n’aura pas de sens tant que nous ne mettrons pas en question les structures du néolibéralisme".

VOIR et ENTENDRE Frédéric Lordon, intello affecté mais haineux qui n'a jamais pointé en usine et orateur démagogue lisant ses notes, au meeting contre la Loi Travail - Convergence des Luttes à Tolbiac le 30 mars 2016:




On a noté les réactions puériles de l'assistance.

En vérité, Lordon veut
casser le cadre dans lequel évolue les rapports de forces entre partenaires sociaux : "S’il n’y a plus d’alternative dans le cadre, il y a toujours possibilité de refaire le cadre. C’est de la politique, pas du revendicatif. On chasse les gardiens du cadre". 
Une fois l'objectif assigné, Lordon passe à la méthode, celle "des grains de sable" qui grippent le système: "Il faut mettre des grains de sable partout," lance-t-il, illustrant cette stratégie à l’aide d’exemples concrets : "C’est débouler dans une réunion d’Anne Hidalgo, c’est débouler dans la conférence d’une association d’étudiants à l’ESCP qui invite Florian Philippot". Et de scander : "C’est faire dérailler le cours normal des choses, les harceler, leur ôter toute tranquillité !" 
Et Lordon de compléter le cours de méthodologie :  la stratégie des "grains de sable" permettra d’opérer "la jonction", soit la coagulation du "militantisme de centre-ville, des classes ouvrières et de la jeunesse ségrégée des quartiers", et "cette force sera irrésistible". 
Constituée, elle se lancera à l’assaut du "cadre à refaire", notamment "les traités assassins, les traités européens et le TAFTA". Lordon fait dans le prophétique, qui ne cache pas à ses ouailles que "La nuit debout, la grève générale, la république sociale, c’est loin".

Pour Frédéric Lordon,
les traités européens ont ôté aux Etats de la zone euro toute souveraineté économique en les privant de la maîtrise de la politique monétaire et en plaçant leurs politiques budgétaires sous la surveillance des institutions européennes et des marchés financiers. Selon lui, l’Union européenne ne peut être transformée en profondeur car, en l’absence de peuple européen, la souveraineté populaire ne peut s’y exercer.
Dans un livre de 2014,
il propose un changement radical qui implique le  défaut de l’Etat sur sa dette, la sortie de la monnaie unique, la prise de contrôle des banques en faillite par la puissance publique et la régulation des échanges avec l’étranger.


Pour retrouver la souveraineté populaire, il faut donc
 revenir aux Etats, selon ce
directeur de recherche au CNRS.
Un point de vue qui ne fait pas l’unanimité dans la gauche critique où le plus grand nombre demeure ttachés à l’idéal européen et internationaliste.
Le "souverainisme" appartient au vocabulaire de la droite mais, pour F. Lordon, la gauche doit se l'approprier et définir une protection des économies nationales qui ne soit pas fondée sur un repli sur soi. Le souverainisme de gauche est un souverainisme solidaire, puisqu’il prône la régularisation de tous les sans-papiers en Europe. La cohérence socio-politique du raisonnement semble prise en défaut.

Nuit debout a reçu sa feuille de route, tracée par un homme sorti de l'ombre
 
La semaine dernière, le rideau Nuit debout s’est déchiré. En réalité, l’événement initié par François Ruffin (réalisateur du film Merci Patron ! critiquant Bernard Arnault et présenté comme déclencheur spolié du mouvement Nuit debout en avril 2016) et ses camarades dispose d’un penseur qui montre le chemin, établit la feuille de route et fournit le prêt-à-penser des objectifs et de la méthode. 

Nuit debout est tout sauf un mouvement spontané, généré par des citoyens vigilants  


Des professionnels de la politique l'ont bel et bien récupéré, repensé et recadré. Révisons notre petit Lénine illustré. Là où il y a organisation, il y a direction. Là où il y a direction, il y a guide. Et ce guide, c’est Frédéric Lordon, dont les interventions savamment mises en scène le hissent au-dessus du bruit médiatique. Dans "Que faire ?", Lénine affirmait la bonne méthode :
" Or, j'affirme :
qu’il ne saurait y avoir de mouvement révolutionnaire solide sans une organisation de dirigeants stable et qui assure la continuité du travail;
que plus nombreuse est la masse entraînée spontanément dans la lutte, formant la base du mouvement et y participant et plus impérieuse est la nécessité d’avoir une telle organisation, plus cette organisation doit être solide (sinon, il sera plus facile aux démagogues d'entraîner les couches arriérées de la masse);
qu’ une telle organisation doit se composer principalement d’hommes ayant pour profession l’activité révolutionnaire;
que, dans un pays autocratique, plus nous restreindrons l’effectif de cette organisation au point de n’y accepter que des révolutionnaires professionnels ayant fait l’apprentissage de la lutte contre la police politique, plus il sera difficile de “se saisir” d’une telle organisation; 
d’autant plus nombreux seront les ouvriers et les éléments des autres classes sociales qui pourront participer au mouvement et y militer de façon active."
Lénine considère également que cette organisation militante ne doit pas être passive et simplement constater les luttes et les soutenir; elle doit avoir une position d'avant-garde, fondée sur le marxisme en tant que science.

A Nuit debout, tout le monde parle, mais c'est Lordon qu'on entend 
Lénine rejette la conception anti-organisation des économistes
Emmanuel Todd, qui s’inquiétait de l’avenir du mouvement "Pas de révolution sans organisation", peut se rassurer. Nuit debout n'est pas livrée à elle-même. Elle est aussi déterminée, active et menaçante mais, si elle s'inspire des Indignés d'Espagne, assembléistes, peut-on garantir pour autant qu'elle est non violente ? 
Une relecture de Lordon livre les clés de mouvement.
Le sous-texte de son intervention, applaudie à tout rompre, est empreint de visions qui ont peu à voir avec la gauche de Jaurès ou Blum. Refus du débat démocratique organisé. Haine de l’Europe du libre-échange. Promotion du populisme souverainiste. Négation de la liberté de la presse. Rejet de l’autre à raison de sa différence de pensée. Appel à des perturbations de réunions publiques… Est-ce vraiment un programme politique destiné à libérer les opprimés ? A réconcilier les Français ? A libérer les consciences ?

S'il se trouve des radicaux - et il n'en manque pas -  pour passer à l'acte selon les préceptes de Lordon, quelle sera l'étendue des dégâts à déplorer ? La Nuit debout de Lordon est bien loin de la vision idyllique que certains politologues tentent d’imposer, à l’image de Gaël Brustier déclarant dans Le Figaro : "Il y a plutôt une forme de joie de vivre Place de la République… qui tranche justement avec la hantise du déclin commune à nos sociétés"
Cet éclairage fait honneur à la politologie contemporaine. Ainsi, quand Lordon déclare : "Nous n’apportons pas la paix" , il est le Lénine de Nuit debout. Nuit debout, c’est fun. La politologie de rue est devenue un sport de combat, celui de la lutte des classes. Innovant ?

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