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dimanche 16 mars 2014

Le nouveau procureur financier n'est-il qu'une coquille vide?

Un doublon politique: un bras de fer se joue avec le Parquet de Paris

FigaroVox - Deux avocats et un professeur de droit se penchent sur les pouvoirs du nouveau procureur financier et ils révèlent un vice originel dans la définition de ses attributions.
Christophe Ingrain est avocat chez DVMB Associés, Rémi Lorrain est avocat, secrétaire de la conférence et 
Didier Rebut est professeur de droit à l'Université Panthéon- Assas.

Le Figaro: Vous mettez en doute la légalité des perquisitions réalisées au domicile et au cabinet de l'avocat de Nicolas Sarkozy, en raison d'une faille de la loi créant le procureur financier?

Christophe Ingrain / Rémi Lorrain: Le procureur financier n'a en réalité aucun pouvoir pour exercer ses compétences. Le législateur a "juste" oublié de les lui donner! Il n'y a dans la loi aucune disposition lui accordant la faculté d'ordonner une enquête préliminaire ou d'ouvrir une instruction… et ceci bien que la "Loi fondamentale" des magistrats - le statut de la magistrature - ait été modifiée pour intégrer ce nouveau venu, le procureur financier, distinct du procureur de la République. La gravité des mesures prises par les juges d'instruction dans le dossier des écoutes nous semble d'autant plus disproportionnée.

Didier Rebut : Il est certain que le choix du législateur de bien séparer le procureur financier des autres procureurs de la République et notamment du procureur de Paris, aurait dû le conduire à préciser expressément qu'il était doté de pouvoirs de mise en mouvement et d'exercice de l'action publique comme les procureurs de la République. La loi est, en quelque sorte, demeurée inachevée, ce qui ne fait pas très sérieux.

Le Figaro : Cela signifie-t-il que le procureur financier ne peut pas ouvrir d'enquêtes?

CI / RL: Les conséquences de cette erreur du législateur sont simples: les actes accomplis par le procureur financier sont nuls. Reprenons l'ouverture de l'instruction relative au trafic d'influence dont est accusé un haut magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert. Le code de procédure pénale prévoit que le juge d'instruction ne peut enquêter qu'après avoir été saisi par un réquisitoire du procureur de la République. Aucun texte ne prévoit que le procureur financier dispose de ce pouvoir ni même qu'il dispose des pouvoirs du procureur de la République. Nous considérons que les actes accomplis par le procureur financier depuis le 1er février n'existent pas.

DR: Je ne pense pas que les juges soient disposés à empêcher le fonctionnement du procureur financier. C'est pourquoi ils devraient chercher tous les moyens - tous les textes dont ils disposent- pour pallier cet oubli du législateur.

Le Figaro : Quel peut être l'impact de ce constat sur les procédures en cours?

CI / RL: Nous pensons que la centaine de procédures traitées par le procureur financier est frappée par ce vice originel. S'agissant plus précisément des dossiers pour lesquels il a décidé d'ouvrir une instruction, la saisine des juges est nulle car effectuée par un magistrat qui n'en n'avait pas le pouvoir. Pour cette même raison, tous les actes accomplis par les juges sont nuls. C'est un effet "dominos".

Le Figaro : Comment expliquer une telle erreur?

CI / RL : Le législateur a dupliqué la recette autrefois utilisée pour attribuer au procureur de Paris une compétence nationale en matière de terrorisme ou pour accorder à certains procureurs une compétence en matière de criminalité organisée. Mais il a oublié la différence essentielle: dans ces cas, on donnait de nouvelles compétences à une autorité existante. Or le procureur financier est une création. Résultat: le "champion" de la lutte contre la délinquance financière n'a pas de bras pour tenir son glaive.

DR: Cette malfaçon de la loi -car malfaçon il y a- est la conséquence de la précipitation du législateur qui a, en outre varié dans son approche. Il a commencé par vouloir créer un procureur indépendant mais s'est vite aperçu que cela n'était pas possible constitutionnellement. Il est revenu en arrière sans vouloir pour autant se limiter à seulement créer un nouveau pole spécialisé au sein des parquets existants. Il a donc imaginé ce procureur à compétence nationale placé sur le même rang que le procureur de Paris. Il s'est concentré sur le statut de ce procureur parce que c'était le point qui posait des difficultés. Ce faisant, il a négligé le reste et a donc voté une loi mal faite.

Eliane Houlette dirige cette nouvelle institution voulue par la Chancellerie et spécialisée dans les affaires de corruption et de grande fraude fiscale.
Agée de 60 ans, elle était jusqu'ici avocate générale à la Cour d'Appel de Paris. La création d'un procureur national financier, doté d'une compétence sur la France entière, était un souhait du gouvernement depuis  A compter du 1er février 2014, les affaires boursières relèvent de la compétence exclusive du nouveau procureur financier. 
Mais cette création de fonction ajoute un étage supplémentaire au mille-feuille judiciaire sans qu'on sache de quels dossiers va hériter Eliane Houlette. Or, les arbitrages à venir s'annoncent complexes, sinon conflictuels, notamment avec le Parquet de Paris, dont la section économique et financière traite et suit les grands dossiers politico-financiers du moment. Au total, les 36 dossiers du type visé (informations judiciaires ou encore enquêtes préliminaires) suivis par le Parquet de Paris rejoignent les services du procureur financier national. Pour les autres, c'est le grand flou, les compétences étant dites "concurrentes". Le nouveau procureur financier héritera des dossiers en cours ou à venir selon un critère assez subjectif : leur "grande complexité". Ou leur sensibilité politique ?
Sans l'initiative de François Molins, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, l'ex ministre du Budget et fraudeur du fisc n'aurait vraisemblablement pas été démasqué. La création d'un poste de procureur national financier était-elle indispensable?

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