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jeudi 30 août 2007

Sarkozy, L’Aube le soir ou la nuit, selon Yasmina Réza

Un portrait du Président Sarkozy

Le livre de Yasmina Reza L’Aube le soir ou la nuit, qui dresse de Nicolas Sarkozy un portrait à la fois critique et admiratif, devrait vous convenir.

Compte-rendu de Jean-Sébastien Stehli (L’Express)

C’est - déjà - le succès de la rentrée. Le futur président avait accepté que la célébre dramaturge le suivre tout au long de sa campagne. En est né L’Aube le soir ou la nuit, un portrait très personnel, curieux objet littéraire, en librairie ce vendredi.

Avant même qu’elle n’ait ouvert le petit cahier d’écolier sur lequel elle prenait ses notes, consignait ce qu’elle voyait et entendait, le « buzz » autour du dernier livre de Yasmina Reza montait crescendo. Au cours de l’été, il menaçait de recouvrir la rentrée littéraire. Le Point publia même un feuilleton hilarant, imaginant le vol de ce manuscrit chez son éditeur, Flammarion, mettant en émoi toute la classe politique. Certains journaux posaient déjà la question du Goncourt. On racontait que l’impression du volume avait fait l’objet de précautions encore plus draconiennes que pour le dernier Harry Potter, envoyé dans une imprimerie d’un pays exotique, et que, de toute façon, personne n’avait lu le manuscrit, pas même son éditrice, Teresa Cremisi, qui l’avait seulement reçu au début d’août.

Objet de toutes ces trépidations et de scènes de douce hystérie : l’ouvrage que Reza allait consacrer à un certain Nicolas Sarkozy. On pensait à Marguerite Duras interviewant François Mitterrand. Ou à Chateaubriand avec Napoléon. Ou encore à André Malraux cheminant avec de Gaulle. Mais L’Aube le soir ou la nuit (« Il n’y a pas de lieux dans la tragédie. Et il n’y a pas d’heures non plus. C’est l’aube, le soir ou la nuit »), sorti le 24 août, récit d’une année à suivre le candidat à l’Elysée, appartient à un genre littéraire à part.

“Tout, même les réunions les plus confidentielles lui était ouvert”
Il emprunte également les recettes du lancement de Spider-Man. Metteur en scène de cette superproduction, Teresa Cremisi, toute-puissante directrice littéraire de Flammarion. Pas question que les « épreuves » circulent auprès des journalistes politiques et des critiques. « Faire circuler le livre l’aurait défloré et aurait abîmé son caractère littéraire, explique-t-elle. Les anecdotes auraient été éparpillées et les gens auraient eu le sentiment d’avoir déjà lu le livre. » Pas d’interviews, sauf une seule avec Le Nouvel Observateur. Pas de photos non plus. Leçon élémentaire de teasing : moins on montre, plus le désir grandit. Bien sûr, la stratégie échoue : fuites ou double jeu, Le Point a décortiqué l’ouvrage malgré l’embargo et des extraits copiés-collés ont fleuri un peu partout.

L’éditeur habituel de la dramaturge, Richard Ducousset, directeur d’Albin Michel et coéditeur de L’Aube…, est un peu désabusé. « Même si c’était un mauvais livre, le succès serait là. C’est significatif de notre époque », déplore-t-il. Alors que les tirages habituels de Reza oscillent entre 50 000 et 80 000 exemplaires pour un roman et entre 20 000 et 30 000 pour une pièce, son nouvel ouvrage devrait rapidement devenir un best-seller.

Yasmina Reza, auteur mondialement célèbre d’Art, de Conversations après un enterrement ou encore de Trois Versions de la vie, à partir de juin 2006 est devenue l’ombre de Nicolas Sarkozy, qui lui a donné total access, comme on dit dans le show-business. « Tout, même les réunions les plus confidentielles, lui était ouvert », confirme José Frèches, proche du candidat. Alors, celle qui porte le prénom de l’une des fiancées d’Aladin dans Les Mille et Une Nuits s’est accrochée au candidat de l’UMP, de Londres, où il devise sur l’édition avec Marc Levy dans un salon du très chic Savoy, à Rieutort-de-Randon (Lozère), de l’hôtel Pierre, sur la 5e Avenue, à New York, au Creusot. A Clermont-Ferrand, Sarkozy présente l’écrivain à VGE en lui expliquant que Yasmina écrit un livre sur lui. L’ancien président, interloqué : « Oui, un… Un fascicule ? » On ne se refait pas.

Le roi de Maubeuge
L’Aube le soir ou la nuit est un curieux ouvrage. La dramaturge fonctionne comme une de ces immenses antennes paraboliques de la Nasa qui servent à capter les sons venus de l’espace : tout ce qui passe à portée d’elle vient s’y coller. Dans ce désordre qui finit quand même par donner une idée du chaos d’une campagne électorale vue des coulisses, on trouve un curieux mélange de réflexions philosophiques, de bouts de dialogues, de saynètes et de remarques souvent d’une grande finesse et drôlerie. Au bout des 190 pages, toute la personnalité de Nicolas Sarkozy est là, dans son impatience, son narcissisme, mais aussi son contact avec les gens, ses moments de doute, parfois. « J’aime les fêlés, ils me rassurent », confie Sarko à Reza. « Ils te rassurent de quoi ? – Je ne sais pas. C’est le propre de l’inquiétude, tu ne sais pas d’où ça vient. » Un peu plus tard, Sarkozy lance : « L’amour, c’est la seule chose qui compte. – Je ne te crois pas […]. Si on te mettait avec Cécilia et les enfants à Maubeuge, tu te jetterais dans la rivière. – Je deviendrais le roi de Maubeuge en deux ans ! »

Le projet de ce livre paraissait naturel pour celle qui affirmait, dans une interview à L’Express, en janvier 2000 : « Adolescente, je m’intéressais aux grands destins. J’ai toujours préféré les êtres hors normes. » Reza note dans son journal de campagne : « Ils jouent gros. C’est ce qui me touche […]. Ils sont à la fois le joueur et la mise. Ils ont mis eux-mêmes sur le tapis. » Pourtant, Richard Ducousset, chez qui Yasmina a publié tous ses livres depuis sa première pièce, en 1987, l’a avertie : « J’ai insisté jusqu’à la redite pour qu’elle ne soit pas victime du syndrome de Stockholm », raconte-t-il, évoquant le sentiment d’empathie que les victimes d’une prise d’otages peuvent éprouver pour leurs ravisseurs.

Une mise en garde pas tout à fait entendue. Même cet auteur dont les pièces révèlent une perception si fine de l’ambiguïté des rapports humains tombe dans le piège. Personne ne résiste à Nicolas Sarkozy, qu’elle se met à tutoyer dès la page 26. Pourtant, le héros du livre n’a découvert son portrait que le lundi 20 août, lorsqu’un coursier de Flammarion a déposé un exemplaire de L’Aube le soir ou la nuit à l’Elysée. Celui qui évoque pour elle « un sujet de Diane Arbus » avait négligé de demander un droit de regard.

Pirouette de l’orgueil
C’est sans doute parce que les deux personnages se ressemblent tant qu’ils étaient faits pour se rencontrer. « Quand j’étais jeune, je pensais tout est possible, consigne Yasmina Reza en écoutant le candidat. Tout m’était contraire, mais je pensais tout est possible. » Conclusion de l’auteur : « Au mot près, ce que je pourrais dire. » Richard Ducousset prévient : « Ce livre est une vision du pouvoir, mais, pour qui la connaît, c’est aussi un autoportrait. »
Ce journal de campagne est donc comme un miroir pour « l’auteur français le plus joué dans le monde ». Yasmina Reza, 48 ans, fille d’un père iranien né à Moscou, qui « déclamait des poèmes de Victor Hugo et La Fontaine » en marchant dans la rue, et d’une mère hongroise, ressemble beaucoup à Nicolas Sarkozy. Pas seulement par ses origines familiales, mais à cause de leur succès et de leur place à part dans leur milieu. « Quand on l’interroge sur le fait qu’il n’arrive pas à se faire aimer, il répond, citant les sondages, alors qu’est-ce que ce serait si on m’aimait ! » Yasmina Reza ajoute : « J’admire cette pirouette de l’orgueil qui s’empresse d’anoblir l’objet de la souffrance. » On pourrait croire que l’écrivain parle d’elle-même.

Reza est l’un des trois ou quatre auteurs contemporains les plus joués au monde, mais, en France, elle dérange. Elle réunit sur elle tous les défauts que l’intelligentsia déteste : la flamboyance et le succès. On finit même par lui reprocher son rouge à lèvres ! Eric-Emmanuel Schmitt, l’autre poids lourd du théâtre français, ajoute, ironique : « Pour les esprits simples, nous appartenons tous les deux au théâtre privé. On ne peut donc pas être bien. »

Mais le public, lui, vient en masse aux pièces de Yasmina Reza. Depuis 1994, Art, qui raconte l’amitié entre trois hommes mise à mal à cause d’un tableau moderne acheté par l’un d’eux, a été jouée, selon Marie-Cécile Renauld, son agent, près de 100 000 fois dans le monde. Et cela continue. En 2001, le magazine BusinessWeek estimait les recettes d’Art, traduit en 35 langues, à 300 millions de dollars. Reza a été couronnée par les Molières (quatre), un Tony, un Laurence Olivier Award, les plus hautes distinctions de la scène américaine et anglaise, et le prix Die Welt, précédemment décerné à Imre Kertész, le Prix Nobel de littérature. Sa excellente Le Dieu du carnage a déjà été jouée à Zurich, alors qu’elle ne sera présentée à Paris qu’en janvier prochain. « En France, je dois me battre davantage, rien ne m’est acquis », constatait-elle lors d’une récente interview. On croirait entendre Sarkozy.

Pas étonnant, donc, que ces deux-là se soient trouvés dans le tourbillon d’une campagne, propice au paroxysme des émotions et au dévoilement, dans la lassitude qui vous saisit dans l’avion de retour de meeting, au milieu de la nuit. « Comme mes personnages, j’ai toujours eu le sentiment de manquer de temps face à la mort », lui fait dire le metteur en scène Luc Bondy. C’est presque verbatim ce que Nicolas Sarkozy lance à ses troupes. « Il a dit plusieurs fois : “L’immobilité c’est la mort.” » Mais, pour le moment, Yasmina Reza a choisi de se mettre en suspension. Elle a fui Paris juste avant la sortie de son livre. Pour essayer, sans doute, de ralentir le temps.

L’Aube le soir ou la nuit, par Yasmina Reza (190 p., 18€) est paru chez Flammarion, le 23 août 2007. 100.000 exemplaires ont été vendus dès le premier week-end.

L’auteur est née en 1960. Fille d'une violoniste hongroise installée à Paris depuis l'établissement du "rideau de fer", et d'un homme d'affaires d'origine juive et russe, Yasmina Reza évolue dès son enfance dans une atmosphère aussi artistique que cosmopolite. Nourrie par le théâtre de Nathalie Sarraute, elle se met elle aussi à écrire des pièces, actuellement traduites en trente-cinq langues, dont Conversations après un enterrement et Une pièce espagnole. Ses pièces, dont Art publiée en 1994, sont toujours jouées dans le monde entier. Elle est aussi romancière, avec entre autres Nulle part et Dans la luge d'Arthur Schopenhauer (Albin Michel, 2005). Son dernier texte, Le Dieu du carnage, est paru chez Albin Michel en janvier 2007.Ses oeuvres sont adaptées dans plus de 35 langues et ont reçu les deux prix anglo-saxons les plus prestigieux : le Laurence Olivier Award et le Tony Award.

Quelques extraits en apéritif :

La rencontre (2006)

Dans le bureau de la place Beauvau où nous nous voyons pour la première fois, il écoute gentiment puis très vite je perçois, de façon infime, mais c’est une chose qui m’est familière, l’impatience. Il a compris. Il est "honoré" que je veuille faire son portrait. Il dit, bref vous voulez être là. Je dis oui. Je suis "il", c’est trop fort ça ! Je n’étais pas honoré, chère Yasmina, je trouvais normal qu’une artiste puisse vouloir faire mon portrait, j’étais juste surpris de tomber sur vous.

New York, face aux représentants des principales organisations juives (septembre 2006)

Je suis numéro un des sondages bien que je sois ami de l’Amérique et d’Israël. Je ne dis pas ça par prétention. J’ai 51 ans, je suis calme. Ne vous laissez pas enfermer par les articles de journalistes stupides qui n’y comprennent rien. Une partie des élites me détestent beaucoup plus qu’Israël et les Américains. C’est tout moi ça : la victimisation qui n’existe pas !

Candidat à la candidature (30 novembre 2006)

Il est candidat. Ne connaissant rien à la dramaturgie politique, j’avoue ne pas comprendre l’importance de cette annonce, s’agissant d’un homme que tout le monde considère comme candidat depuis la nuit des temps. Samuel Fringant, chef de cabinet adjoint, me dit, dans la mythologie présidentielle c’est le moment où tu franchis le Rubicon. Tu ne peux plus revenir en arrière. C’est ça, je me suis construit une mythologie : c’est la marque des grands hommes d’avoir une mythologie, c’est la marque des génies d’être des mythes vivants.

Nicolas Sarkozy et Henri Guaino préparent le discours de la déclaration officielle de candidature (14 janvier 2007) :

Henri : Pour moi, la grande idée, c’est le travail.Nicolas : Oui, oui ! Oui ! Le fil conducteur c’est le travail ! Pour moi, il y a deux idées, la France n’est pas finie, et le travail. Voilà comment j’ai construit ma pensée directrice...

Disparition de l’abbé Pierre (22 janvier 2007)

C’est infiniment pénétré qu’il commente, en sortant du pénitencier, pour la presse locale, la disparition de l’abbé Pierre survenue dans la nuit, et avec la même gravité de visage, le même ton de condoléances, la réconfortante non-candidature de Nicolas Hulot… Dans l’avion : —Heureusement qu’on n’a pas eu l’abbé Pierre mort dimanche 14… Ben quoi ?

Réunion avec son entourage, Nicolas Sarkozy parle (non daté)

Je vous dis une chose. Si on n’avait pas l’identité nationale, on serait derrière Ségolène. On est sur le premier tour, mes amis. Si je suis à 30%, c’est qu’on a les électeurs de Le Pen. Si les électeurs de Le Pen me quittent, on plonge. Ben quoi ? (bis)

Second tour, Yasmina Reza s’adresse à la mère de Nicolas Sarkozy, Andrée (6 mai 2007)

Je dis à sa mère : "Votre fils vient d’être élu président de la République, je vous regarde Madame depuis cinq minutes, vous êtes calme, peu bavarde..." "Oh vous savez, dit-elle, le jour le plus émouvant est le jour où il a été élu à Neuilly, car il avait 27 ans". Et je vous raconte pas quand je suis passé au CE 1.

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